Le Patriarche Maronite, sa Beatitude Mar Beshara Boutros Al Rahi a prononcé un discours à l'université du Saint Esprit Kaslik en la présence de Parlementaires Européens et de plusieurs personalités religieuses et politiques sur les enjeux de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Voici le texte intégral de son discours:
'Je voudrais tout d’abord saluer les organisateurs de cette conférence sur «le futur des chrétiens au Moyen-Orient» et le Recteur de l’Université St. Esprit, Kaslik, qui l’accueille dans cet Amphithéâtre. Je salue donc les honorables Membres du Parlement Européen, de l’Assemblée Parlementaire du Conseil d’Europe, des Parlements du Liban et du Moyen-Orient, ainsi que la Commission des Conférences des Évêques de l’Union Européenne.
S’adressant ensemble pour la première fois à leurs fidèles, les Patriarches catholiques d’Orient affirmaient en 1991, que «L’Eglise ne se mesure pas en chiffres. Elle n’est pas tributaire de la statistique, mais de la conscience que ses fils et filles ont de leur vocation et de leur mission.» Je souhaite aujourd’hui, dans le cadre de ce colloque, élargir cet appel et l’adresser à la fois aux Communautés Européenne et internationale ainsi qu’à nos compatriotes Musulmans. Vingt ans plus tard, le Synode des évêques, convoqué par Sa Sainteté le Pape Benoit XVI en Assemblée spéciale pour le Moyen-Orient du 10 au 24 Octobre 2010, a confirmé cette affirmation en considérant que la présence chrétienne en Orient se comprend en termes de «Communion et témoignage»; ce qui signifie que nous ne pouvons penser notre avenir en dehors, en marge ou contre les sociétés où nous vivons et dont nous faisons partie essentielle, mais en partageant les responsabilités avec nos compatriotes pour construire ensemble cet avenir. Je souhaite que la tenue de ce colloque soit une prise de conscience de cette responsabilité partagée et que ses travaux et leur suivi atteignent ses finalités. Dans ce cadre j’ai choisi de parler des enjeux et défis auxquels nous faisons face à partir de ces deux concepts fondamentaux de communion et témoignage.
I. La communion
2. La communion est un concept théologique qui signifie l’unité dans la diversité que les chrétiens sont tout d’abord appelés à vivre dans l’amour au sein de l’Eglise, à l’image de la Sainte Communion Trinitaire. Le Concile Vatican II nous enseigne que l’Eglise est appelée à être « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. ». Cela montre que les fondements de notre présence en Orient se trouvent inscrits au cœur de notre foi, et pas uniquement liés aux circonstances historiques et matérielles de cette présence ou à notre propre choix. C’est pourquoi notre «vivre-commun» ne signifie pas une existence parallèle ou une simple collaboration entre les différentes parties d’une même société, mais une conscience d’une vie partagée et d’une interdépendance qui va jusqu’à l’identité culturelle et spirituelle des uns et des autres. « Les chrétiens d’Orient, disent en ce sens les patriarches catholiques d’Orient, sont une partie inséparable de l’identité culturelle des musulmans. De même, les musulmans en Orient sont une partie inséparable de l’identité culturelle des chrétiens. De ce fait, nous sommes responsables les uns des autres devant Dieu et devant l’histoire.»
3. En politique, cette communion se traduit en termes d’identité nationale commune, de «citoyenneté» et de participation. Nous confrontons l’enjeu des changements en cours dans certains pays arabes. Tout en étant une expression d’un éveil et d’un engagement pour une identité nationale commune, nous craignons que ces changements ne conduisent vers des conflits inter confessionnaux, une transition à des régimes plus durs encore et une partition de la région sur une base confessionnelle. Il ne doit y avoir qu’une identité nationale partagée, inclusive de tous les apports culturels, et qui peut assurer la base d’un vivre-commun serein et fructueux. Les chrétiens, avec tous leurs amis d’ici ou d’ailleurs, doivent faire face à toutes les tentatives de définir nos sociétés ou nos pays en terme d’identité religieuse. Nous devons nous opposer clairement à l’islamité exclusive de l’identité de nos pays ainsi qu’à la judaïté d’Israël. Nous saluons ici l’heureuse déclaration d’AL Azhar du mois de juin dernier, qui confirme que l’Islam ne stipule aucune identité religieuse pour l’Etat lequel ne doit être ni religieux, ni théocratique, mais civil respectant les valeurs religieuses fondamentales. Nous invitons à un dialogue sincère entre les divers partenaires, politiques et religieux, libéraux, modérés ou conservateurs, islamistes et laïcs, locaux et internationaux, autour du concept de l’Etat civil afin de clarifier dans son contexte les exigences d’une citoyenneté partagée par tous sur un pied d’égalité.
4. Il reste ensuite l’enjeu de la participation politique de tous au service du bien commun, comme concrétisation de cette citoyenneté juste et inclusive. Il y a cependant de grandes disparités dans les situations des pays de la région au niveau de la représentation des chrétiens dans les parlements. Alors qu’au Liban, l’accord de Taëf de 1990 stipule d’une manière unique en son genre et originale la parité entre chrétiens et musulmans indépendamment des calculs démographiques, mais sur la base du Pacte National de convivialité islamo-chrétienne.
La présence chrétienne au Moyen-Orient a besoin de bénéficier avec les autres citoyens d’un cadre politique sain et impartial pour pouvoir assumer son rôle propre et contribuer au développement futur et équitable de ses sociétés. L’Etat civil, séparant entre les religieuses et les institutions politiques, sans pour autant reléguer les premières dans les marges de la vie publique, semble être le cadre adapté aux situations de nos pays. Il a cependant besoin d’être étudié afin d’arriver à un consensus dans sa compréhension loin de toute ambiguïté. Il pourrait être de modèle pour l’intégration des communautés musulmanes dans l’espace politique européen.
3. En politique, cette communion se traduit en termes d’identité nationale commune, de «citoyenneté» et de participation. Nous confrontons l’enjeu des changements en cours dans certains pays arabes. Tout en étant une expression d’un éveil et d’un engagement pour une identité nationale commune, nous craignons que ces changements ne conduisent vers des conflits inter confessionnaux, une transition à des régimes plus durs encore et une partition de la région sur une base confessionnelle. Il ne doit y avoir qu’une identité nationale partagée, inclusive de tous les apports culturels, et qui peut assurer la base d’un vivre-commun serein et fructueux. Les chrétiens, avec tous leurs amis d’ici ou d’ailleurs, doivent faire face à toutes les tentatives de définir nos sociétés ou nos pays en terme d’identité religieuse. Nous devons nous opposer clairement à l’islamité exclusive de l’identité de nos pays ainsi qu’à la judaïté d’Israël. Nous saluons ici l’heureuse déclaration d’AL Azhar du mois de juin dernier, qui confirme que l’Islam ne stipule aucune identité religieuse pour l’Etat lequel ne doit être ni religieux, ni théocratique, mais civil respectant les valeurs religieuses fondamentales. Nous invitons à un dialogue sincère entre les divers partenaires, politiques et religieux, libéraux, modérés ou conservateurs, islamistes et laïcs, locaux et internationaux, autour du concept de l’Etat civil afin de clarifier dans son contexte les exigences d’une citoyenneté partagée par tous sur un pied d’égalité.
4. Il reste ensuite l’enjeu de la participation politique de tous au service du bien commun, comme concrétisation de cette citoyenneté juste et inclusive. Il y a cependant de grandes disparités dans les situations des pays de la région au niveau de la représentation des chrétiens dans les parlements. Alors qu’au Liban, l’accord de Taëf de 1990 stipule d’une manière unique en son genre et originale la parité entre chrétiens et musulmans indépendamment des calculs démographiques, mais sur la base du Pacte National de convivialité islamo-chrétienne.
La présence chrétienne au Moyen-Orient a besoin de bénéficier avec les autres citoyens d’un cadre politique sain et impartial pour pouvoir assumer son rôle propre et contribuer au développement futur et équitable de ses sociétés. L’Etat civil, séparant entre les religieuses et les institutions politiques, sans pour autant reléguer les premières dans les marges de la vie publique, semble être le cadre adapté aux situations de nos pays. Il a cependant besoin d’être étudié afin d’arriver à un consensus dans sa compréhension loin de toute ambiguïté. Il pourrait être de modèle pour l’intégration des communautés musulmanes dans l’espace politique européen.
II. Le témoignage
5. Comme après la communion vient le témoignage, ainsi après la citoyenneté vient l’engagement. Or, trois défis font face au témoignage et à l’engagement des chrétiens en Orient. Il s’agit de la sécurité, des libertés fondamentales et de la reconnaissance de la diversité.
6. Nous savons combien la sécurité est fondamentale pour toute vie individuelle et collective. Personne ne peut vivre, grandir et s’épanouir dans une atmosphère insécurisante. La Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2011 sur la situation des chrétiens dans le contexte de la liberté de religion reconnaît très clairement les situations d’insécurité dans lesquelles se trouvent des communautés chrétiennes au Moyen-Orient et ailleurs. L’article 9 du texte demande «instamment aux autorités des États qui sont confrontés à de nombreux attentats visant les confessions religieuses de prendre leurs responsabilités et de veiller à ce que les pratiques religieuses de toutes les confessions religieuses puissent se dérouler normalement, d'intensifier leurs efforts afin de fournir une protection fiable et efficace aux confessions religieuses dans leurs pays et d'assurer la sécurité personnelle et l'intégrité physique des membres des confessions religieuses dans le pays, se conformant ainsi aux obligations auxquels ils ont déjà souscrit sur la scène internationale.»
Dans ce contexte, nous voulons affirmer que la sécurité est un droit à tout citoyen et que l’Etat se doit d’assurer. Il ne s’agit donc en aucune manière d’une protection d’une minorité par une majorité, mais d’un droit fondamental et commun à tous, sans distinction et sans discrimination aucune. Toutefois, vu l’aspect d’intolérance religieuse qu’ont manifesté certains événements sanglants et douloureux, je réitère l’invitation, déjà exprimée par le Sommet islamo-chrétien tenu au Patriarcat maronite le 12 mai dernier, de toutes les instances supérieures musulmanes et chrétiennes du Moyen-Orient à proclamer un document historique rejetant tous les aspects de guerres de religion et promouvant la convivialité à la base de la citoyenneté et des droits fondamentaux de l’homme.
7. Le second enjeu est celui des libertés fondamentales. Car comme nous souffrons parfois de manque de sécurité, nous souffrons également, dans quelques pays de la région de certaines formes de régime sécuritaire étatique ou social qui oppriment les libertés fondamentales de conscience, de culte et d’expression. Or la liberté est l’oxygène du citoyen et du croyant. Elle est tellement importante pour nous que toute l’histoire de l’Eglise Maronite se caractérise par une longue aventure d’attachement et de défense de la liberté au prix d’énormes sacrifices. Notre liturgie est un chant d’action de grâce continu pour ce don divin et inaliénable de la liberté et une offrande à l’intention de nos martyrs à travers les siècles. Mon prédécesseur, le patriarche Nasrallah-Pierre Sfeir avait clairement affirmé que «si les Libanais étaient mis devant le choix difficile entre le vivre-ensemble et la liberté, l’histoire montre qu’ils n’ont jamais hésité – et surtout les chrétiens parmi eux – de choisir la liberté, qui constitue un principe et une constante pour eux.»
Le Synode spéciale pour le Moyen-Orient est revenu sur la question des libertés en montrant sa complexité et ses différentes dimensions: sociale, culturelle, religieuse, législative et politique. L’Instrumentum Laboris (n. 36) distingue entre la liberté de culte et la liberté de conscience. Les deux fromes connaissent des limites et entraves. Si la liberté de conscience, «c’est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion seul ou en public, sans aucune entrave, et donc de la liberté de changer de religion» est encore – à l’exception du Liban – loin d’être garantie dans nos sociétés et parfois prohibée par la législation. La simple liberté de culte elle aussi est parfois indirectement entravée par les procédures difficiles et injustes pour l’obtention de permis pour la construction de lieux de culte ou de leur restauration. Nous estimons que la résolution de cette question, ainsi que la garantie d’une entière et inconditionnelle liberté de culte et de conscience, constitue un indicateur intransigeant de la justesse et de l’avenir des sociétés arabes après les révolutions et les changements de régimes.
8. Le troisième enjeu est celui de la reconnaissance de la diversité. En effet la liberté ouvre le chemin à une autre valeur fondamentale à savoir l’acceptation positive de la diversité et la reconnaissance des autres dans leur altérité. Avouons qu’il n’est jamais facile à un croyant d’accueillir l’autre – dans sa différence religieuse – comme un élément positif dans son espace social et culturel, ainsi que dans son espace intérieur. Or, l’histoire plus que millénaire du vivre-commun entre chrétiens et musulmans dans la région nous apprend par le biais du dialogue de la vie que ces différences irréductibles peuvent être surmontées, voire même transformées en source d’enrichissement mutuel. Parlant précisément de cette réalité, le Bienheureux Pape Jean-Paul II avait déclaré que «Le Liban est plus qu’un pays: il est un message de liberté et un modèle de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident.»
En ces temps de bouleversements et de quête de vérité, notre espoir est de voir le Liban assumer son rôle de message. Malgré ses multiples fragilités, le Liban reste en effet porteur de cette mission humaniste et civilisationnelle d’une pluralité réconciliée dont l’Orient ainsi que l’Occident ont tant besoin. Cette responsabilité passe par la lutte contre toutes les formes de fondamentalisme et de fanatisme ou xénophobie. Elle exige de nous un réexamen de nos discours religieux et éducatifs et l’interpellation des autres pour faire de même aussi, afin que nos pratiques soient cohérentes avec nos principes. Ainsi le climat de sécurité et de libertés constituera le contexte propice à un dialogue islamo-chrétien fécond, fondé sur la base des valeurs communes et le respect des différences.
Conclusion
9. Dans le contexte de la tenue du XXe congrès des Patriarches Catholiques d’Orient, je m’unis à mes frères les Patriarches pour exprimer notre gratitude envers les diverses délégations européennes, avec ceux qui ont contribué à la préparation de ce colloque, pour l’intérêt que vous portez pour la cause de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Nous voulons vous assurer que votre démarche ne sera pas mal comprise, comme étant un appui à une partie de la population de la région sans ou contre les autres. En effet, soutenir les chrétiens de la région, c’est soutenir le vivre-commun et par conséquent c’est aussi soutenir – quoique indirectement – les musulmans. Car le vivre-commun est une valeur partagée qui enrichit ses deux composantes et dont nous avons tous besoin. Ainsi nous ne craignons pas pour la présence chrétienne en Orient. Car nous croyons que cela dépend davantage de la volonté de Dieu que de notre choix. Nous savons aussi que le scénario d’un monde arabe sans les chrétiens serait un scénario catastrophique pour l’Orient et pour l’Occident. Car ceci sera la fin de l’arabité en tant que culture plurielle et elle sera engloutie par la culture religieuse de l’islam. Ni l’islam, ni l’Europe ne pourront supporter une telle situation. Quant à nous, nous affirmons que l’identité nationale, la citoyenneté, la participation, la sécurité, la liberté et l’accueil de la diversité sont tous des jalons sur cet autre chemin quotidien que nous parcourons inséparablement avec nos concitoyens et frères les musulmans de tous les pays du Moyen-Orient. Ensemble, nous en sont responsables devant Dieu.
10. Chers amis venus de l’Europe, restez avec nous sur ce chemin. Vous êtes venus en frères, soucieux du sort des chrétiens; nous vous introduisons dans notre famille plus large, où chrétiens et musulmans nous portons ensemble les soucis des uns et des autres. Car dans cette région du monde, berceau de civilisations antiques et du monothéisme, le conflit n’est pas et nous refusons qu’il en soit entre chrétiens et musulmans. Nous le disons à vous et à nous-mêmes, l’avenir, notre avenir à nous tous, dépend de l’issu d’une autre confrontation. Elle est celle qui met face-à-face, dans la vie de tous les jours et sur différents niveaux: politique, culturel, théologique, éducatif et médiatique, les fanatiques d’une part et les croyants authentiques avec tous les hommes de bonne volonté d’autre part. Nous savons que le combat est rude, mais dans la foi, nous savons aussi que nous sommes vainqueurs.'
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